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Titres à commander selon Platon
Titres à commander selon Platon. 2017-05-23 A.S.
§0 Extrait de Platon, Lois, livre III, texte grec.
[689e] […]
Ἀθηναῖος
Ἄρχοντας δὲ δὴ καὶ ἀρχομένους ἀναγκαῖον ἐν ταῖς πόλεσιν εἶναί που.
Κλεινίας
Τί μήν;
[690a]Ἀθηναῖος
Εἶεν· ἀξιώματα δὲ δὴ τοῦ τε ἄρχειν καὶ ἄρχεσθαι ποῖά ἐστι καὶ πόσα, ἔν τε πόλεσιν μεγάλαις καὶ σμικραῖς ἔν τε οἰκίαις ὡσαύτως; Ἆρ' οὐχὶ ἓν μὲν τό τε πατρὸς καὶ μητρός; Καὶ ὅλως γονέας ἐκγόνων ἄρχειν ἀξίωμα ὀρθὸν πανταχοῦ ἂν εἴη;
Κλεινίας
Καὶ μάλα.
Ἀθηναῖος
Τούτῳ δέ γε ἑπόμενον γενναίους ἀγεννῶν ἄρχειν· καὶ τρίτον ἔτι τούτοις συνέπεται τὸ πρεσβυτέρους μὲν ἄρχειν δεῖν, νεωτέρους δὲ ἄρχεσθαι.
Κλεινίας
Τί μήν;
[690b]Ἀθηναῖος
Τέταρτον δ' αὖ δούλους μὲν ἄρχεσθαι, δεσπότας δὲ ἄρχειν.
Κλεινίας
Πῶς γὰρ οὔ;
Ἀθηναῖος
Πέμπτον γε οἶμαι τὸ κρείττονα μὲν ἄρχειν, τὸν ἥττω δὲ ἄρχεσθαι.
Κλεινίας
Μάλα γε ἀναγκαῖον ἀρχὴν εἴρηκας.
Ἀθηναῖος
Καὶ πλείστην γε ἐν σύμπασιν τοῖς ζῴοις οὖσαν καὶ κατὰ φύσιν, ὡς ὁ Θηβαῖος ἔφη ποτὲ Πίνδαρος. Τὸ δὲ μέγιστον, ὡς ἔοικεν, ἀξίωμα ἕκτον ἂν γίγνοιτο, ἕπεσθαι μὲν τὸν ἀνεπιστήμονα κελεῦον, τὸν δὲ φρονοῦντα ἡγεῖσθαί τε καὶ[690c]
ἄρχειν. Καίτοι τοῦτό γε, ὦ Πίνδαρε σοφώτατε, σχεδὸν οὐκ ἂν παρὰ φύσιν ἔγωγε φαίην γίγνεσθαι, κατὰ φύσιν δέ, τὴν τοῦ νόμου ἑκόντων ἀρχὴν ἀλλ' οὐ βίαιον πεφυκυῖαν.
Κλεινίας
Ὀρθότατα λέγεις.
Ἀθηναῖος
Θεοφιλῆ δέ γε καὶ εὐτυχῆ τινα λέγοντες ἑβδόμην ἀρχήν, εἰς κλῆρόν τινα προάγομεν, καὶ λαχόντα μὲν ἄρχειν, δυσκληροῦντα δὲ ἀπιόντα ἄρχεσθαι τὸ δικαιότατον εἶναί φαμεν.
Κλεινίας
Ἀληθέστατα λέγεις.
[690d]Ἀθηναῖος
“Ὁρᾷς δή,” φαῖμεν ἄν, “ὦ νομοθέτα,” πρός τινα παίζοντες τῶν ἐπὶ νόμων θέσιν ἰόντων ῥᾳδίως, “ὅσα ἐστὶ πρὸς ἄρχοντας ἀξιώματα, καὶ ὅτι πεφυκότα πρὸς ἄλληλα ἐναντίως; Νῦν γὰρ δὴ στάσεων πηγήν τινα ἀνηυρήκαμεν ἡμεῖς, ἣν δεῖ σε θεραπεύειν.§1 Traduction française.
(L. Brisson, J-F Pradeau, GF/Flammarion, 2006)
L'ÉTRANGER D 'ATHÈNES
Oui, mais dans les cités, il y a nécessairement des gens qui commandent et des gens qui sont commandés.
CLINIAS
Et comment en irait-il autrement?
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
[690a] Bien! Mais quels sont et combien sont les titres d'autorité qui permettent à ceux gui commandent de maintenir d'autres personnes sous leur commandement, soit dans de grandes ou de petites cités, soit dans de grandes ou petites maisons? L'un de ces titres n'est-il pas celui de père et de mère? Et, en général, le fait d'être géniteur ne serait- il pas un juste titre d'autorité partout reconnu?
CLINIAS
Absolument.
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
Oui, et, tout de suite après celui-là, vient le titre à commander de ceux qui sont de noble naissance à l'égard de ceux qui sont de basse extraction. Selon un troisième, qui vient après les précédents, il revient à ceux qui sont plus âgés de commander et à ceux qui sont plus jeunes d'être commandés.
CLlNIAS·
Bien sûr.
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
[690b] Suivant un quatrième encore, il revient aux esclaves d'étre commandés et aux maîtres de commander.
CLlNIAS
Cela va de soi.
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
Suivant un cinquième, j'imagine, il revient au plus fort de commander et au plus faible d'être commandé.
CLlNIAS
Tu viens de mentionner une autorité particulièrement inéluctable.
L'ÉTRANGER D' ATHÈNES
Oui, et qui plus est, c'est celle qui prévaut chez tous les êtres vivants et qui est conforme à la nature, comme jadis le déclara Pindare de Thèbes. Mais, me semble-t-il bien, le titre le plus important est le sixième, celui qui enjoint à celui qui est dépourvu de savoir de suivre, et à l'homme réfléchi de diriger et [690c] de commander. À coup sûr, très savant Pindare, je ne suis pas prêt à dire que ce titre est contre-nature; au contraire je soutiendrais même qu' est conforme à la nature l'autorité que la loi exerce naturellement sur des gens qui s'y soumettent de leur gré et non sous la contrainte.
CLINIAS
Rien de plus juste.
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
Oui, et en mentionnant une septième forme d'autorité qui résulte de la faveur des dieux et de l'heureuse fortune, nous faisons intervenir le sort: que celui qu'aura désigné le sort commande et que celui qui se retire non désigné soit commandé; il n'y a rien, disons-nous, de plus juste.
CLINIAS
Rien de plus vrai.
L'ÉTRANGER D'ATHÈNES
"Tu vois bien, législateur, pourrions-nous dire [690d] en plaisantant à l'un de ceux qui ne voient pas de difficulté à se mettre à instituer des lois, combien il y a de titres à commander, et comment ils s'opposent naturellement les uns aux autres". Oui, nous venons tout juste de découvrir une source de séditions, et il te revient d'y apporter remède.
§ 2 Interprétation politologique
§ 2.1 Les quatre premiers titres mentionnés relèvent de la naissance et/ou de la sphère domestique et peuvent être considérés comme "naturels", sans qu'il y ait besoin de l'expliciter. Platon d'ailleurs mentionne des titres que la démocratie athénienne reconnaît peu ou prou. L'âge: on n’est majeur qu’à dix-huit ans, et il y a un seuil de 30 ans pour pouvoir être magistrat, membre du Conseil, juré dans un jury judiciaire ou législatif. La bonne origine, le peuple athénien s'en attribue une collectivement, et cela le conforte dans son attitude restrictive envers les naturalisations. La domination de l'esclave par le maître, si elle ne joue pas de rôle proprement politique à Athènes (un esclave athénien est un étranger, de toute façon), est un pilier de son droit privé, comme la domination des parents sur les enfants mineurs.
Le discours a des aspects un peu sournois: Platon "oublie" que le père athénien n'a pas de pouvoir sur ses fils majeurs; il n'oublie pas en revanche de mentionner l'autorité familiale de la mère, ce qui met en cause la domination politique par un peuple exclusivement masculin; il mentionne le statut servile, absent dans beaucoup de ses exposés philosophiques, parce qu'ici cela peut mettre en cause l'idéal d'égalité.
§ 2.2 Les titres de la force et du savoir sont déclarés naturels, avec une préférence pour le dernier. L'invocation de Pindare est un peu sournoise, on sait bien que pour Platon la poésie n'a pas d'autorité morale.
§ 2.3 Le dernier titre est surnaturel. On note qu'il est justifié par une référence aux dieux et à la Bonne Fortune (Eutukhê). Or Platon aurait pu se limiter aux dieux, sans citer une entité surnaturelle notoirement capricieuse. Pour les dieux en général, il aurait pu parler d'un choix, incompréhensible pour les mortels, mais fondé peut-être sur des raisons supérieures, plutôt que de la faveur ou l'affection des dieux (theophilê).
On rappelle d'autre part qu'aucune des textes démocrates que nous connaissons ne donne une justification religieuse du tirage au sort; celui-ci y est considéré comme une façon d'assurer l’alternance des citoyens dans les postes d'autorité. Comme le dit Thésée, fondateur mythique de la démocratie athénienne dans les Suppliantes d’Euripide (v 406-407) : δῆμος δ´ ἀνάσσει διαδοχαῖσιν ἐν μέρει ἐνιαυσίαισιν « le peuple règne selon des successions annuelles par alternance ».
Au demeurant les règles institutionnelles dans la démocratie athénienne du quatrième siècle manifestent cette interprétation séculière du tirage au sort politique. L’itération, c’est à dire la réélection (au sens large) à un même poste, était exclue à Athènes au quatrième siècle pour les postes de magistrat (pouvoir exécutif) - sauf pour les postes militaires et financiers (Aristote, Constitution d’Athènes, LXII, §3), qui se trouvaient justement élus par vote. Il était permis de siéger deux fois au Conseil des Cinq Cents, tiré au sort, sans doute pour assurer un vivier suffisant. Deux fois, mais pas plus. Ce refus de l’itération témoigne de l'absence de sens théologique du tirage au sort athénien classique, car si la sélection par le sort était la manifestation de la faveur divine, la répétition de la sélection ne devrait pas faire l'objet d'une réticence, bien au contraire : elle manifesterait qu'on a affaire à un élu des dieux, à qui on devrait confier les plus grandes responsabilités séance tenante.
L’application aux magistrats choisis par le sort (comme aux élus par vote) de l’habilitation (dokimasia), examen probatoire de vertu sociale et attachement à la démocratie, va dans le même sens: rejeter pour personnalité incivique un élu de la divinité relèverait du blasphème.
Bien sûr, on peut toujours penser que quelque idée du tirage au sort comme choix divin avait aidé à un niveau non conscient ou non explicite à favoriser l’usage politique du tirage au sort. Mais Platon évidemment est de mauvaise foi en considérant que c’est la justification de la procédure.
Platon insiste sur le fait que le tirage au sort est le titre le plus juste (dikaiótaton). Propos ironique assurément, reprenant un discours démocratique sur le sort come moyen d'assurer l’alternance égalitaire entre citoyens, mais contraire à la conception platonicienne de la justice, et provocateur dans le cadre d'un discours qui rattache la procédure à la Bonne Fortune.
§ 3 Interprétation selon la grille fonctionnelle indo-européenne.
Les quatre premiers titres relèvent de la naissance et/ou de la sphère domestique. On peut les assigner à la troisième fonction.
Le cinquième titre est la force; on est évidemment dans la seconde fonction.
Le sixième titre est la supériorité du savoir; d'un savoir qui s'agissant de la cité ne peut être celui d'un expert technique, mais d'un sage ou d'un philosophe; on est dans la première fonction.
Le septième titre est le choix par le sort, « qui résulte de la faveur des dieux et de l'heureuse fortune ». Ce titre se distingue des autres, par ce qu'il est le dernier mentionné, et par ce qu'il est le seul qui ne soit pas attribué à la nature, à un ordre naturel. Les quatre premiers le sont implicitement, on n'a pas à le dire tant cela est évident; pour le titre F2 et le titre F1, l'Etranger d'Athènes l'affirme explicitement. Le septième titre est donc à part, il relève, lui, de la surnature; d'une décision surnaturelle dont on ne connait d'ailleurs ni vraiment l'auteur, ni la justification.
Ce titre-là est extérieur à l'ordre humain, il relève de la quatrième fonction.
Ici, comme en bien d’autres cas chez Platon, une analyse philosophique se développe en suivant la structure mythique indo-européenne des fonctions.
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