•          This post is an information about a 2010 article which has recently been uploaded to Academia.edu.

     

    Pierre et André Sauzeau, « Une couleur disparue : la couleur chlore »

     

    [A vanished color, the chlore color],

     

     

    from  M.-F. Badie, M.-C. Heck et Ph. Monbrun éds., La fabrique du regard, Michel Oudiard, Paris, 2010, p. 77-88. 

     

     

    Summary.

     

    From ancient texts, especially Greek and Sanskrit ones, we attempt, harnessing comparative linguistics and the anthropology of color (Berlin B., Kay P., MacLaury R., Massi L., Merrifield W.) to reconstruct the Proto-Indo-European system of basic colors.

     

    This system included four basic colors, one of them was a color covering approximately our yellow,  green, impure white, pale. We name « chlore » this color, from the ancient Greek basic color chlōros which is its successor (it is the color of the horse of the Fourth Horseman of the Apocalypse of John). 

     

    Our paper aims not only to understand the limits of this color but also to locate its focus, to identify its material referents (gold, honey, yellow amber, bile, vegetation), its associations with certain qualities of light and movement, its connotations and symbolic associations, and its connection with the functional structure of Indo-European ideology.

     

    The « chlore » color corresponds to the Indo-European « fourth function » of Non-Order.

     

     

     

    Table

     

    Les systèmes de couleur.

     

    Le système indo-européen des couleurs fondamentales.

     

    Les noms des couleurs fondamentales indo-européennes.

     

    Apparence lumineuse et chromatisme.

     

    Couleurs de l’or.

     

    Les référents matériels des couleurs fondamentales indo-européennes.

     

    Couleur et mode dynamique chez les Indo-Européens.

     

    Couleurs et fonctions.

     

    Disparition de la couleur chlore.

     

     

     

    NB Our book, published later (2012), La quatrième fonction. Marginalité et altérité dans l'idéologie des Indo-européens includes two related chapters :

     

    Chapitre V : “Le système des couleurs et les fonctions dans l’univers mental des Indo-Européens”  

     

    Chapitre VI : “Les mutations chromatiques indo-européennes et les quatre fonctions”  

     

     

    NB The color « chlore » is of the yellow-with-green kind, which is ethnographically known, but uncommon. In the Word Color Survey (2010), among 110 languages, only one includes such a basic color: the Canada Crees.

     

     

    NB For representations of the Indo-European four-colors system, see the post Palette quadrichrome des Indo-Européens. 

     

     

     


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  • Couleur des Gilets Jaunes et de Poufsouffle.

     

    A.S. 2019-03-13

     

     

     

    §0 Pastoureau, historien de référence pour les couleurs, a été évidemment consulté sur la couleur jaune des Gilets Jaunes. Au delà de l’idée – géniale – d’utiliser un article voyant que tout automobiliste doit avoir (et le prix du carburant a été au début le thème essentiel), on pouvait effectivement se demander si la couleur avait une valeur propre - dans la conscience ou la subconscience de ses promoteurs, ou dans celle du public.

     

    Source : www.liberation.fr

     

    Interview de Michel Pastoureau par Catherine Calvet, 2018-12-05

     

    L’exposé de Pastoureau suggère plusieurs pistes.

     

     

     

    §1 Première piste, le choix par défaut. « Toutes les couleurs de base sont déjà prises », observe Pastoureau. Ne reste que le jaune, alors même que « dans toutes les enquêtes d’opinion sur la notion de "couleur préférée", partout en Europe, le jaune est cité en dernier parmi les six couleurs de base ».

     

     Effectivement dans la contre-offensive médiatique contre le mouvement, quand il s’est agi de nier sa singularité politique, on a vu surgir la symbolique politique des couleurs : les Gilets Jaunes sont en fait des bruns (extrême-droite), des rouges (extrême-gauche), ou, pire, des rouges-bruns.

     

     

     

    §2 Seconde piste, le bas statut de la couleur jaune, qui s’accorde avec l’usage modeste du gilet de sécurité. Il convient ici de rappeler une anecdote. « Lors de l’été 2008, Karl Lagerfeld avait (...) prêté son image à une campagne de communication de la Sécurité Routière, qui venait d’imposer la présence d’un gilet jaune (...) dans les coffres de toutes les voitures de France. Il suffisait de lire le slogan pour avoir dans l’oreille l’inimitable accent germanique de Karl Lagerfeld : " C’est moche, c’est jaune, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie" »[1]. C’est un classique de la rébellion que de prendre comme marque un élément méprisé. Mais ici ce n’est pas la reprise en défi d’un terme venu de l’adversaire, comme pour les « Gueux » de la révolte des Pays-Bas, c’est un élément choisi.

     

     

     

    §3 Troisième piste. Pastoureau nous rappelle que « le jaune incarne le mensonge et la tromperie. Au reste, il s’agit aussi bien des trompeurs (des "casseurs de grève", par exemple) que des trompés (les maris cocus au théâtre) ». Mais quand l’interviouveuse demande si “Les gilets jaunes aujourd’hui sont plutôt du côté des trompés”, Pastoureau n’en est pas convaincu. À raison sans doute - il observe plus loin : « C’est une couleur nouvelle en politique et beaucoup de gens ignorent sa symbolique négative liée à la trahison. ».

     

     

     

    §4 On proposera ici une quatrième piste. Le jaune est une couleur chaude, et de forte visibilité, mais c’est une couleur peu saillante,  du fait de sa clarté « essentielle » – la couleur jaune ne correspond qu’aux nuances les plus claires de la teinte (les nuances sombres de la même teinte relèvent de la couleur brune) et d’effets psychophysiques. Ceci lui donne une affinité avec un mouvement sans fantasmes grandioses (préoccupé « plutôt par la fin de mois plutôt par la fin du monde »), et lié à des catégories « modestes ». Un des aspects du mouvement a été une entrée en politique des travailleurs subalternes[2], avec par exemple une présence remarquée des caristes et des aides-soignantes. Ces catégories ne relèvent pas d’une lumpen-petite bourgeoisie selon le concept utilisé par Jacques Julliard, à contre-sens par rapport au concept de lumpen chez Marx[3]. Elles ne sont pas marginales par rapport à l’organisation du travail (de l’hôpital ou de l’atelier, par exemple) et encore moins marginales éthiquement (en fait leurs tâches ne sont pas d’une haute technicité, et les qualités professionnelles correspondantes seront avant tout des qualités morales). Elles sont intégrées, mais avec un statut modeste.

     

     Pastoureau aurait plutôt pensé, pour un nouveau mouvement,  à l’orange, comme dans la « révolution orange » d’Ukraine. Mais la couleur saillante qu’est l’orange ne convenait pas à l’étrange « soulèvement des modestes ».

     

     

     

    §5 Pastoureau insiste sur l’opposition entre l’or, jaune brillant, et le jaune ordinaire (non brillant, ou sans spécification de brillance). « À  partir du XIIe siècle, l’or devient peu à peu le bon jaune, signe de richesse, de beauté, de prospérité. Il est associé au culte divin et renvoie au sacré. Il ne reste au jaune ordinaire que les aspects négatifs : mensonge, hypocrisie, trahison. On pourrait dire que le responsable du "mauvais" jaune, c’est l’or. »

     

     Cette même opposition ne peut qu’aider le jaune à devenir la couleur modeste. Et il n’a pas fallu longtemps pour voir opposer les gilets jaunes aux gilets dorés. Un exemple entre autres : Jack Dion, Marianne, 2019-01-25: « À défaut de débattre avec des ‘gilets jaunes’, Emmanuel Macron a invité au château de Versailles les ‘gilets dorés’ de la finance internationale, à l’occasion de la deuxième édition d’un salon baptisé Choose France ».

     

     

     

    §6 Qui s’intéresse à la mythologie fictionnelle moderne pense ici aux couleurs des Maisons de Poudlard. Le mythe pottérien créé par Rowling associe une couleur propre à chacune des quatre Maisons de Poudlard ; c’est la couleur de la bannière de la Maison, et aussi la couleur des robes de ses élèves (sorciers et sorcières portent habituellement des robes).

     

     La couleur jaune est attribuée à la Maison Poufsouffle (en v.o. Hufflepuff).

     

    Sur quoi repose donc la différenciation des quatre Maisons ? Exclusivement sur des traits de la personnalité des élèves, traits qui sont magiquement décelés à leur arrivée au Collège par le Chapeau Répartiteur (« Sorting Hat » ; le « Choixpeau Magique » dans la version française). Le principe de la répartition des élèves tel qu’il est exposé par le Choixpeau Magique lui-même (HP1:120-121) – c’est nous qui soulignons :

     

     

     

    « Mettez-moi donc sur votre tête

     

    Pour connaître votre maison.

     

    Si vous allez à Gryffondor

     

    Vous rejoindrez les courageux,

     

    Les plus hardis et les plus forts

     

    Sont rassemblés en ce haut lieu.

     

    Si à Poufsouffle vous allez,

     

    Comme eux vous s’rez juste et loyal

     

    Ceux de Poufsouffle aiment travailler

     

    Et leur patience est proverbiale.

     

    Si vous êtes sage et réfléchi

     

    Serdaigle vous accueillera peut-être

     

    Là-bas ce sont des érudits

     

    Qui ont envie de tout connaître.

     

    Vous finirez à Serpentard

     

    Si vous êtes plutôt malin,

     

    Car ceux-là sont de vrais roublards

     

    Qui parviennent toujours à leurs fins. »

     

     

     

    Le jaune est donc attribué à une Maison dont le correspondant social idéal est assez précis[4]: des travailleurs modestes dont les qualités propres sont morales.  

     

    Les Gilets Jaunes, c’est le soulèvement de Poufsouffle. 

     

     

     

    §7 La conformité de la répartition des qualités des Maisons de Poudlard au schéma quadrifonctionnel indo-européen saute aux yeux. Gryffondor est la maison de la bravoure – voici la fonction F2. À Serdaigle appartiennent sagesse, savoir et réflexion : on est dans F1. Ceux de Serpentard ont des qualités ambiguës d’ambition et de ruse, en elles-mêmes extérieures à l’ordre, donc F4, avec une note négative d’absence de scrupules. À Poufsouffle on est loyal, travailleur, patient : qualités de la troisième fonction, F3.

     

     

     

    §8 De ces qualités de troisième fonction on peut passer aisément à des qualités politiques de docilité sociale et de déférence. On les retrouve dans les pensées indo-européennes anciennes[5], et on ne peut éviter de noter que Poufsouffle, dans le récit pottérien, est la Maison dont le rôle est de loin le moins marquant. Certes il est logique que le rôle de F3 soit moins marquant que celui de F2 dans un récit épique de combat. Reste qu’on peut penser à un soubassement idéologique élitiste, reprenant dans une fiction juvénile du vingtième siècle un très ancien thème, dont les Gilets Jaunes marquent alors le rejet.

     

     

     

    §9 Si les Maisons de Poudlard suivent étroitement le modèle quadrifonctionnel indo-européen, en revanche la symbolique fonctionnelle des couleurs qui apparaît dans le mythe pottérien ne peut être héritée simplement et directement des anciens schémas indo-européens, du fait que le système conceptuel des couleurs de l’Europe moderne est lui-même très différent de celui qu’on peut reconstituer pour l’époque indo-européenne commune.

     

    Notre étude (La Quatrième Fonction, 2012, chapitre V) nous a amenés à restituer une palette indo-européenne comprenant quatre couleurs fondamentales: le blanc, le rouge – deux couleurs assez proches des blanc et rouge du système occidental moderne - le “syame” regroupant les couleurs foncées et froides, le “chlore  correspondant à peu près au jaune et au vert (et au blanc impur). Pour avoir une idée plus précise de cette structure, se reporter au billet antérieur La palette quadrichrome des Indo-Européens. Ces quatre couleurs étaient associées aux quatre fonctions F1, F2, F3, F4.

     

    Deux des onze couleurs fondamentales de l’Occident moderne, le jaune et le vert, peuvent être considérées comme héritières de la couleur “chlore” indo-européenne, associée à la quatrième fonction, et elles ont effectivement hérité de la symbolique de cette fonction, du moins pour une part – une part s’affaiblissant au cours du dernier siècle. Si le vert a gardé chez Rowling des connotations du “chlore”, ce n’est pas le cas général dans les esprits contemporains. La vague de la sensibilité écologiste l’a associé fortement à des valeurs de vie. Le jaune qui avait gardé certaines connotations du “chlore” semblent les perdre dans la période actuelle.

     

    Que Rowling ait assigné le vert à la maison F4, Serpentard, peut être considéré comme un fossile de la symbolique indo-européenne des couleurs, qui dans la culture occidentale contemporaine semble dans la dernière phase de son exténuation.

     

     Le jaune de Poufsouffle a lui une motivation moderne de modestie.

     

     

     

     

     

     

     



    [1] La Voix du Nord, 2019-02-19.

    [2] Bien entendu, nous ne prétendons pas ici faire une sociologie de la « fièvre jaune ». Nous ne considérons qu’un de ses aspects sociaux, mais un aspect remarquable.

    [3] Jacques Julliard, « Lexique de la fièvre jaune », Marianne, 2018-12-07

    [4] Ce qui n’est pas général. En particulier Gryffondor renvoie à des catégories socio-professionnelles variées.

    [5] Y compris s’agissant de personnages héroïques incarnant la troisième fonction. Ainsi dans le Mahâbhârata, les jumeaux Nakula et Sahadeva, Pāndavas de troisième fonction selon l’analyse de Dumézil  (Mythe et épopée I, chapitre II). Les textes « mettent en valeur leur docilité et leur serviabilité : ils sont "obéissants envers leurs maîtres"». (p. 65)

     


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  • Spengler et les fonctions indo-européennes.

     

     

     

    §1  L'oeuvre majeure d'Oswald Spengler Le déclin de l'Occident (en v.o. Der Untergang des Abendlandes) comporte un chapitre intéressant dans la perspective des structures mentales indo-européennes. Il s'agit du chapitre IV de la seconde partie, intitulé: « L'Etat » (p 299 à 404 du second tome dans la traduction française qu’en fit le philosophe algérien Mohand Tazerout chez Gallimard, 1948); chapitre qui fit d'ailleurs l'objet d'une édition séparée.

     

     

     

    §2 Spengler y reprend la structure des trois ordres du schéma occidental classique, mais complétée par un quatrième, obtenant ainsi un schéma quadriparti qu’il considère, suivant sa thèse fondamentale, comme valide pour toutes les « cultures ». 

     

    Il y a d’abord les « ordres primaires » de  la noblesse et du clergé, celui-ci étant par rapport à la noblesse un contre-ordre « disant partout Non où la noblesse disait Oui, et mettant ainsi en relief l’autre côté de la vie par un grand symbole » (p 330) ; « la noblesse vit dans un monde de réalités, le prêtre dans un monde de vérités ; l’un est connaisseur, l’autre savant ; l’un acteur, l’autre penseur» (p 307).

     

    Ensuite il y a « le troisième ordre » [c’est à dire, p 330] « la protestation en forme d’ordre contre la nature de l’ordre, d’ailleurs non contre tel ou tel ordre, mais contre la forme symbolique de la vie en général. Il rejette toutes les distinctions qui ne sont pas justifiées par la raison ou par l’utilité ; mais il "signifie" quand même quelque chose avec une clarté complète : il est comme ordre la vie citadine opposée à la vie rurale, il est la liberté comme ordre par opposition à l’enchaînement. Mais considéré de son propre point de vue, il n’est nullement le reste qu’il semble être lorsqu’on le considère du point de vue des ordres primaires. La bourgeoisie a des limites ; elle appartient à la culture ; elle embrasse [...] tous ceux qui lui appartiennent, et elle les embrasse sous le nom de peuple, populus, demos, par quoi elle y intègre la noblesse et le clergé, l’argent et l’esprit, l’artisanat et le salariat, comme des parties composantes particulières. 

     

    Ce concept, la civilisation[1] le trouve tout fait et elle le détruit par le concept du quatrième ordre, de la masse, qui rejette par principe la culture et ses formes organiques. La masse est l’informe absolu, qui poursuit avec haine chaque espèce de forme, toutes les différences de rang, la propriété constituée, le savoir constitué. C’est le nouveau nomadisme des villes mondiales, pour lequel les esclaves et les Barbares dans l’antiquité, le tschoudra[2] dans l’Inde, tout ce qui est humain, forment également un je ne sais quoi de flottant qui est entièrement séparé de ses origines, qui ne reconnait pas son passé et qui ne possède aucun avenir. Le quatrième ordre devient ainsi l’expression de l’histoire qui aboutit à la non-histoire. La masse est la fin, le radical néant. »

     

     

     

    §3 Il est difficile de ne pas reconnaître ici une structure quadrifonctionnelle indo-européenne.

     

    La quatrième fonction convenait doublement à la vision spenglérienne d’une “culture” qui en son hiver est dominée idéologiquement par la haine envers toute “espèce de forme” (F4 comme non-Ordre) et sociologiquement par les analogues des “tchoudras” indiens (inférieurs socialement mais aussi extérieurs à la culture,  en position F4).

     

     

     

     

     



    [1]   La « civilisation » correspond dans le système spenglérien au dernier stade du cycle d’une culture, à son « hiver ».

    [2] Le tchoudra, sanscrit śūdra, correspond au quatrième varṇa du système brahmanique, faisant suite aux trois varṇa  « aryas » : les brahmanes (prêtres), les  katriya  (guerriers) et les vaiśya (producteurs). Les śūdra sont inférieurs, voués à être les serviteurs des autres, et  aussi extérieurs, étant exclus du culte et de l’initiation qui fait, des membres des varṇa supérieurs, des « deux fois nés ». » Les śūdra constituent, dans le système des varṇa, le terme de quatrième fonction. Voir Sauzeau & Sauzeau, La Quatrième Fonction, 2012, chapitre I.

     

     

     


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  •  

     

    Le Roi et le Voleur, une série bouddhique théravadine.

     

     

     

    §0 Un texte du canon théravadin.

     

     

     

    Le Dīgha-nikāya (Dīgha = long, nikāya = recueil), ou collection des longs discours (du Bouddha), est un recueil de trente-quatre discours ou enseignements (sutta) faisant partie du Sutta-pitaka (Corbeille des enseignements) 

     

    Le Cakkavatti-Sihanāda-sutta (« Le roi qui met en marche la roue ») est le vingt-sixième de ces discours. 

     

    Ce recueil fait partie du canon pali du bouddhisme théravadin (« du sud »). 

     

     

     

    Référence :

     

    Dīgha-nikāya (recueil des 34 longs suttas). Le premier livre du Sutta-pitaka. Tome III

     

    Traduction Môhan Wijayaratna

     

    Editions LIS, Paris, 2008

     

     

     

    §1 Le récit.

     

     

     

    Le récit qui nous intéresse ici est, dans le sutta 26, un récit mythique de déchéance de l’humanité, faisant suite à un Âge de perfection auquel présidait la Roue précieuse.

     

     

     

    Après des « milliers de longues années », la Roue précieuse a bougé. Le roi l’apprenant devint renonçant, et laissa la royauté à son fils aîné.

     

    La Roue précieuse disparut. Le nouveau roi fut triste. Mais il ne demanda pas de conseils à son père, il gouverna « selon ses propres idées».

     

    La Roue n’est plus là, c’est la fin d’une sorte d’Age d’Or, le début d’un cycle historique de déchéance.

     

    Le Roi demanda des conseils à ses conseillers. « Les ayant écoutés, il organisa la sécurité et le bien-être de ses sujets. Mais il ne donna pas de richesse à ceux qui n’en avaient pas. Lorsqu’une richesse n’a pas été donnée aux gens démunis, la pauvreté fut augmentée. Lorsque la pauvreté fut augmentée, un homme prit avec l’intention de voler, quelque chose appartenant aux autres. »

     

    Le mal de troisième fonction, le vol, est entré dans le monde.

     

    Le voleur étant attrapé et amené devant le roi, il s’expliqua et le roi bienveillant lui « donna de la richesse » avec des bons conseils pour l’employer. Evidemment, ce comportement multiplia les vols et le roi finit par réagir, par la répression. Il fit couper la tête au voleur qu’on lui amena. Alors les gens se dirent qu’il convenait en effet de réagir au vol par la violence, ils s’armèrent, ils tuèrent les voleurs.

     

    Le mal de seconde fonction, la violence meurtrière, est entré dans le monde. Il ne s’arrête évidemment pas à la violence défensive et répressive. 

     

    « Ainsi, ils produisirent des armes tranchantes. Puis, ils saccagèrent des villages ; de même, ils saccagèrent des bourgades ; de même, ils saccagèrent des villes ; de même ils firent du banditisme de grand chemin ».

     

    C’est ici que se produisit la première dégradation vitale : « la durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de quatre-vingt mille ans s’abaissa à quarante mille ans. »

     

    Il advint ensuite qu’un voleur amené devant le roi et sachant la sanction à venir nia sa culpabilité. Le roi lui demanda s’il reconnaissait avoir volé. « En répondant il proféra un mensonge délibéré : " Non, Sire" ».

     

    Le mal de première fonction, le mensonge, est entré dans le monde. 

     

    « La durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de quarante mille ans s’abaissa à vingt mille ans. »

     

    Dans le dernier sketch du voleur et du roi, le voleur qui nie a contre lui un accusateur « un autre homme proféra une parole médisante devant le roi : "Cet homme, Sire, a pris, avec l’intention de voler, une chose appartenant aux autres "».

     

    Le mal de quatrième fonction (aryamanique), la médisance, est entré dans le monde. La médisance, c’est la communication comme attaque envers autrui (qui n’est pas forcément une calomnie).

     

    « Lorsque les paroles médisantes furent augmentées […] la durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de vingt mille ans s’abaissa à dix mille ans. »

     

    Le récit ne connaît plus d’épisode du roi et du voleur. Le dernier épisode semble avoir lâché la bonde à tous les péchés : « relations sexuelles illicites » « paroles rudes et paroles frivoles », « avidité et aversion ». « La durée de vie  s’abaissa à cent ans ».  

     

    On est arrivé visiblement dans notre déplorable monde présent. Cela ira de mal en pire.

     

    « Il y aura, ô bhikkus, une époque où ces êtres humains auront des enfants dont la durée de vie sera de dix ans. […] les filles de cinq ans seront aptes à se marier. Parmi les êtres humains qui ont une durée de vie de dix ans, les bonnes choses savoureuses telles que : beurre fondu, beurre, huile de sésame, miel et sel ne se trouveront plus [ …] le meilleur repas sera constitué de graine kudrūsa. » Le monde moral va déchoir comme le monde matériel. Les normes sexuelles disparaîtront, l’aversion et le mépris mutuels régneront. Finalement « il y aura une semaine dite "la période des armes", et pendant ces sept jours, chez les êtres se produira "la notion de daims". Les armes se trouveront dans les mains de chacun. Ainsi ils se tueront l’un l’autre en se disant "voici un daim", "voici un daim". »

     

    « Parmi ces gens-là, ô bhikkus, chez certains individus viendra cette réflexion : "Que nous ne tuions personne. Que personne ne nous tue. Que nous allions vivre dans un bosquet ou dans un bois ou dans une forêt ou dans une île entourée de rivières, ou dans une caverne d’un rocher dur, et là-bas vivons avec des racines et des fruits. " »

     

     Il y aura ainsi un reste de l’humanité. Ce reste progressera dans la voie de l’éthique bouddhique, sa durée de vie augmentera, etc, [1] et cela finira par un nouvel Age d’or. Alors « naîtra dans le monde un Bienheureux nommé Metteyya » ; soit en sanscrit Maitreya.

     

     

     

    §2 Une série quadrifonctionnelle.

     

     Il y a dans le récit de la déchéance de l’humanité quatre épisodes du roi et du voleur, qui forment série, et cette série est clairement quadrifonctionnelle

     

    F3 arrivée du vol

     

    F2 arrivée de la violence

     

    F1 arrivée du mensonge

     

    F4 arrivée de la médisance

     

    La médisance, qui encore est encore un péché non évidemment anti-social – après tout, il s’agit de dénoncer un délinquant - constitue le dernier terme parce qu’elle marque l’arrivée de la dernière des fonctions. Ensuite, c’est l’effondrement des normes, qui est une forme non ambiguë, elle, de quatrième fonction.

     

     

     

     

     

     

     



    [1]   Le processus est inversé. Mais il n’y a pas de sketch du type « le roi et le voleur », propice à une structuration fonctionnelle.

     

     


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  • Palette quadrichrome des Indo-Européens.

     

    Révision 1          2017-05-24

     

     

     

    Ceci est un complément au livre :

     

               Pierre & André SAUZEAU

     

               La Quatrième Fonction

     

    Altérité et marginalité dans l'idéologie des Indo-Européens

     

    Paris, Belles-Lettres, 2012         (collection "Vérité des mythes" )

     

    et plus particulièrement au chapitre V : « Le système des couleurs et les fonctions dans l’univers mental des Indo-Européens ».

     

     

     

    Les couleurs fondamentales indo-européennes.

     

     

     

    Notre étude nous amène à restituer un système indo-européen de quatre couleurs fondamentales, blanc, rouge, « syame » et « chlore ». Nous essayons ici de donner des représentations figurées de cette « palette ».

     

     

     

    Le problème est évidemment que l’espace de la couleur proprement dite est à trois dimensions, et que ceci rend difficile la représentation graphique. Nous avons choisi de ne pas prendre en considération la dimension de saturation, et nous ramènerons la description à deux dimensions, teinte et luminosité.

     

     

     

    Bien entendu, la partition en quatre couleurs fondamentales que nous représentons ne prétend qu’à proposer une approximation - on ne pourra jamais tester les membres des plus anciennes communautés indo-européennes.

     

    Rappelons d’ailleurs que les études modernes montrent une grande variabilité à l’intérieur même d’une population.

     

     

     

    Représentation circulaire de la quadrichromie indo-européenne restituée.

     

     

     

    Nous avons dessiné un schéma qualitatif, inspiré du système colorimétrique Teinte-Saturation-Luminosité (TSL) - en anglais Hue-Saturation-Lightness (HSL); en nous réduisant, comme nous l’avons dit, à la teinte et la luminosité (clarté). Pour cela nous ne considérons que les couleurs élémentaires de saturation maximale (le schéma ne prend donc pas en considération les gris, de saturation très faible).

     

     

     

    La teinte est codée en coordonnées angulaires. A chaque teinte élémentaire correspond un angle sur le cercle des teintes. Ainsi, en comptant les angles dans le sens positif (inverse de celui des aiguilles de la montre)

     

    ·       teinte rouge typique : 0° (ou 360° , évidemment)

     

    ·       teinte jaune typique : 60° 

     

    ·       teinte verte typique : 120

     

    ·       teinte bleue typique : 240° .

     

    La luminosité (clarté) varie radialement, du centre noir à la circonférence blanche ; la représentation ici est qualitative.

     

     

     

    Les noms de couleurs occidentales indiquées en italiques doivent permettre au lecteur de se repérer ; il va de soi qu’elles n’entendent pas renvoyer à des concepts universels.

     

    Palette quadrichrome des Indo-Européens

     

     

     

    Représentation à partir de la palette WCS.

     

    Palette quadrichrome des Indo-Européens

     

     

     

    La palette WCS (WCS stimulus array), ci-dessus, représente les items colorés du système colorimétrique Munsell utilisés par les ethnographes du World Color Survey - entreprise d’étude ethnographique mondiale des systèmes de couleurs, lancée notamment pour tester les thèses de l’école de Berlin & Kay. Si on met à part la barre des couleurs « achromatiques », blanc-gris-noir, placée à gauche, le reste du diagramme correspond aux différentes teintes à leur maximum de saturation et avec une luminosité variable. L’axe vertical est celui de la luminosité, l’axe horizontal correspond aux différentes teintes.

     

     

     

    Les réponses des sujets de l’enquête permettent de tracer la limite des différentes couleurs fondamentales de leur propre système, et de déterminer, pour chacune de ces couleurs, la nuance qui leur semble typique, le « foyer » de cette couleur.

     

     

     

    Nous utiliserons quant à nous cette palette WCS pour visualiser notre restitution de la partition indo-européenne en quatre couleurs fondamentales.

     

    Le diagramme suivant ne représente que les nuances « teintées », réparties (très approximativement) selon les couleurs indo-européennes restituées.

    Palette quadrichrome des Indo-Européens

     

     

     

    Pour les couleurs « achromatiques », il va de soi que le blanc pur est C 1, et que le noir comme les gris foncés relèvent du syame C 3 ; les gris clairs relèvent sans doute du chlore C 4.

     

     

     

    La partition pourra sembler « peu naturelle » à beaucoup de lecteurs. Il faut évidemment se défier d’une telle réaction. Nous sommes en général si habitués à un système donné de couleurs fondamentales, qui nous a été inculqué dans l’enfance, que nous avons du mal à vraiment accepter qu’il y en existe d’autres.

     

     

     

    Ceci dit, si les études ethnographiques ont montré que beaucoup de peuples « réunissaient le bleu et le vert » (83 cultures sont dans ce cas, sur les 122 étudiés dans le cadre du World Color Survey), l’existence d’une couleur fondamentale couvrant là la fois le jaune et largement le vert est beaucoup plus rare, au point que Berlin & Kay en avaient initialement exclu la possibilité. Les études ethnographiques ultérieures ont montré que le cas, s’il était rare, existait néanmoins de façon irréfutable (3 cultures seulement parmi les 122 du WCS, mais il y en a d’autres en dehors de ce panel).

     

    La palette indo-européenne quadrichrome telle que nos études la restituent correspond donc à un cas de figure rare, mais nullement aberrant.

     

     

     

    Dans la culture occidentale, trois couleurs fondamentales, les couleurs « froides », vert, bleu, violet, sont définies sans tenir compte de la luminosité (clarté). Ce qui fait souvent affirmer (de façon un peu exagérée) que la culture occidentale « privilégie la teinte ». Deux des quatre couleurs de la palette indo-européenne restituée,  le chlore et le syame, s’étalent sur une large gamme de teintes et dépendent fortement de la luminosité. Ceci, pour le coup, n’a rien de rare ethnographiquement pour un système à quatre couleurs fondamentales. 

     


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