• Spengler et les fonctions indo-européennes.

     

     

     

    §1  L'oeuvre majeure d'Oswald Spengler Le déclin de l'Occident (en v.o. Der Untergang des Abendlandes) comporte un chapitre intéressant dans la perspective des structures mentales indo-européennes. Il s'agit du chapitre IV de la seconde partie, intitulé: « L'Etat » (p 299 à 404 du second tome dans la traduction française qu’en fit le philosophe algérien Mohand Tazerout chez Gallimard, 1948); chapitre qui fit d'ailleurs l'objet d'une édition séparée.

     

     

     

    §2 Spengler y reprend la structure des trois ordres du schéma occidental classique, mais complétée par un quatrième, obtenant ainsi un schéma quadriparti qu’il considère, suivant sa thèse fondamentale, comme valide pour toutes les « cultures ». 

     

    Il y a d’abord les « ordres primaires » de  la noblesse et du clergé, celui-ci étant par rapport à la noblesse un contre-ordre « disant partout Non où la noblesse disait Oui, et mettant ainsi en relief l’autre côté de la vie par un grand symbole » (p 330) ; « la noblesse vit dans un monde de réalités, le prêtre dans un monde de vérités ; l’un est connaisseur, l’autre savant ; l’un acteur, l’autre penseur» (p 307).

     

    Ensuite il y a « le troisième ordre » [c’est à dire, p 330] « la protestation en forme d’ordre contre la nature de l’ordre, d’ailleurs non contre tel ou tel ordre, mais contre la forme symbolique de la vie en général. Il rejette toutes les distinctions qui ne sont pas justifiées par la raison ou par l’utilité ; mais il "signifie" quand même quelque chose avec une clarté complète : il est comme ordre la vie citadine opposée à la vie rurale, il est la liberté comme ordre par opposition à l’enchaînement. Mais considéré de son propre point de vue, il n’est nullement le reste qu’il semble être lorsqu’on le considère du point de vue des ordres primaires. La bourgeoisie a des limites ; elle appartient à la culture ; elle embrasse [...] tous ceux qui lui appartiennent, et elle les embrasse sous le nom de peuple, populus, demos, par quoi elle y intègre la noblesse et le clergé, l’argent et l’esprit, l’artisanat et le salariat, comme des parties composantes particulières. 

     

    Ce concept, la civilisation[1] le trouve tout fait et elle le détruit par le concept du quatrième ordre, de la masse, qui rejette par principe la culture et ses formes organiques. La masse est l’informe absolu, qui poursuit avec haine chaque espèce de forme, toutes les différences de rang, la propriété constituée, le savoir constitué. C’est le nouveau nomadisme des villes mondiales, pour lequel les esclaves et les Barbares dans l’antiquité, le tschoudra[2] dans l’Inde, tout ce qui est humain, forment également un je ne sais quoi de flottant qui est entièrement séparé de ses origines, qui ne reconnait pas son passé et qui ne possède aucun avenir. Le quatrième ordre devient ainsi l’expression de l’histoire qui aboutit à la non-histoire. La masse est la fin, le radical néant. »

     

     

     

    §3 Il est difficile de ne pas reconnaître ici une structure quadrifonctionnelle indo-européenne.

     

    La quatrième fonction convenait doublement à la vision spenglérienne d’une “culture” qui en son hiver est dominée idéologiquement par la haine envers toute “espèce de forme” (F4 comme non-Ordre) et sociologiquement par les analogues des “tchoudras” indiens (inférieurs socialement mais aussi extérieurs à la culture,  en position F4).

     

     

     

     

     



    [1]   La « civilisation » correspond dans le système spenglérien au dernier stade du cycle d’une culture, à son « hiver ».

    [2] Le tchoudra, sanscrit śūdra, correspond au quatrième varṇa du système brahmanique, faisant suite aux trois varṇa  « aryas » : les brahmanes (prêtres), les  katriya  (guerriers) et les vaiśya (producteurs). Les śūdra sont inférieurs, voués à être les serviteurs des autres, et  aussi extérieurs, étant exclus du culte et de l’initiation qui fait, des membres des varṇa supérieurs, des « deux fois nés ». » Les śūdra constituent, dans le système des varṇa, le terme de quatrième fonction. Voir Sauzeau & Sauzeau, La Quatrième Fonction, 2012, chapitre I.

     

     

     


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    Le Roi et le Voleur, une série bouddhique théravadine.

     

     

     

    §0 Un texte du canon théravadin.

     

     

     

    Le Dīgha-nikāya (Dīgha = long, nikāya = recueil), ou collection des longs discours (du Bouddha), est un recueil de trente-quatre discours ou enseignements (sutta) faisant partie du Sutta-pitaka (Corbeille des enseignements) 

     

    Le Cakkavatti-Sihanāda-sutta (« Le roi qui met en marche la roue ») est le vingt-sixième de ces discours. 

     

    Ce recueil fait partie du canon pali du bouddhisme théravadin (« du sud »). 

     

     

     

    Référence :

     

    Dīgha-nikāya (recueil des 34 longs suttas). Le premier livre du Sutta-pitaka. Tome III

     

    Traduction Môhan Wijayaratna

     

    Editions LIS, Paris, 2008

     

     

     

    §1 Le récit.

     

     

     

    Le récit qui nous intéresse ici est, dans le sutta 26, un récit mythique de déchéance de l’humanité, faisant suite à un Âge de perfection auquel présidait la Roue précieuse.

     

     

     

    Après des « milliers de longues années », la Roue précieuse a bougé. Le roi l’apprenant devint renonçant, et laissa la royauté à son fils aîné.

     

    La Roue précieuse disparut. Le nouveau roi fut triste. Mais il ne demanda pas de conseils à son père, il gouverna « selon ses propres idées».

     

    La Roue n’est plus là, c’est la fin d’une sorte d’Age d’Or, le début d’un cycle historique de déchéance.

     

    Le Roi demanda des conseils à ses conseillers. « Les ayant écoutés, il organisa la sécurité et le bien-être de ses sujets. Mais il ne donna pas de richesse à ceux qui n’en avaient pas. Lorsqu’une richesse n’a pas été donnée aux gens démunis, la pauvreté fut augmentée. Lorsque la pauvreté fut augmentée, un homme prit avec l’intention de voler, quelque chose appartenant aux autres. »

     

    Le mal de troisième fonction, le vol, est entré dans le monde.

     

    Le voleur étant attrapé et amené devant le roi, il s’expliqua et le roi bienveillant lui « donna de la richesse » avec des bons conseils pour l’employer. Evidemment, ce comportement multiplia les vols et le roi finit par réagir, par la répression. Il fit couper la tête au voleur qu’on lui amena. Alors les gens se dirent qu’il convenait en effet de réagir au vol par la violence, ils s’armèrent, ils tuèrent les voleurs.

     

    Le mal de seconde fonction, la violence meurtrière, est entré dans le monde. Il ne s’arrête évidemment pas à la violence défensive et répressive. 

     

    « Ainsi, ils produisirent des armes tranchantes. Puis, ils saccagèrent des villages ; de même, ils saccagèrent des bourgades ; de même, ils saccagèrent des villes ; de même ils firent du banditisme de grand chemin ».

     

    C’est ici que se produisit la première dégradation vitale : « la durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de quatre-vingt mille ans s’abaissa à quarante mille ans. »

     

    Il advint ensuite qu’un voleur amené devant le roi et sachant la sanction à venir nia sa culpabilité. Le roi lui demanda s’il reconnaissait avoir volé. « En répondant il proféra un mensonge délibéré : " Non, Sire" ».

     

    Le mal de première fonction, le mensonge, est entré dans le monde. 

     

    « La durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de quarante mille ans s’abaissa à vingt mille ans. »

     

    Dans le dernier sketch du voleur et du roi, le voleur qui nie a contre lui un accusateur « un autre homme proféra une parole médisante devant le roi : "Cet homme, Sire, a pris, avec l’intention de voler, une chose appartenant aux autres "».

     

    Le mal de quatrième fonction (aryamanique), la médisance, est entré dans le monde. La médisance, c’est la communication comme attaque envers autrui (qui n’est pas forcément une calomnie).

     

    « Lorsque les paroles médisantes furent augmentées […] la durée de vie des enfants de ceux qui avaient une durée de vie de vingt mille ans s’abaissa à dix mille ans. »

     

    Le récit ne connaît plus d’épisode du roi et du voleur. Le dernier épisode semble avoir lâché la bonde à tous les péchés : « relations sexuelles illicites » « paroles rudes et paroles frivoles », « avidité et aversion ». « La durée de vie  s’abaissa à cent ans ».  

     

    On est arrivé visiblement dans notre déplorable monde présent. Cela ira de mal en pire.

     

    « Il y aura, ô bhikkus, une époque où ces êtres humains auront des enfants dont la durée de vie sera de dix ans. […] les filles de cinq ans seront aptes à se marier. Parmi les êtres humains qui ont une durée de vie de dix ans, les bonnes choses savoureuses telles que : beurre fondu, beurre, huile de sésame, miel et sel ne se trouveront plus [ …] le meilleur repas sera constitué de graine kudrūsa. » Le monde moral va déchoir comme le monde matériel. Les normes sexuelles disparaîtront, l’aversion et le mépris mutuels régneront. Finalement « il y aura une semaine dite "la période des armes", et pendant ces sept jours, chez les êtres se produira "la notion de daims". Les armes se trouveront dans les mains de chacun. Ainsi ils se tueront l’un l’autre en se disant "voici un daim", "voici un daim". »

     

    « Parmi ces gens-là, ô bhikkus, chez certains individus viendra cette réflexion : "Que nous ne tuions personne. Que personne ne nous tue. Que nous allions vivre dans un bosquet ou dans un bois ou dans une forêt ou dans une île entourée de rivières, ou dans une caverne d’un rocher dur, et là-bas vivons avec des racines et des fruits. " »

     

     Il y aura ainsi un reste de l’humanité. Ce reste progressera dans la voie de l’éthique bouddhique, sa durée de vie augmentera, etc, [1] et cela finira par un nouvel Age d’or. Alors « naîtra dans le monde un Bienheureux nommé Metteyya » ; soit en sanscrit Maitreya.

     

     

     

    §2 Une série quadrifonctionnelle.

     

     Il y a dans le récit de la déchéance de l’humanité quatre épisodes du roi et du voleur, qui forment série, et cette série est clairement quadrifonctionnelle

     

    F3 arrivée du vol

     

    F2 arrivée de la violence

     

    F1 arrivée du mensonge

     

    F4 arrivée de la médisance

     

    La médisance, qui encore est encore un péché non évidemment anti-social – après tout, il s’agit de dénoncer un délinquant - constitue le dernier terme parce qu’elle marque l’arrivée de la dernière des fonctions. Ensuite, c’est l’effondrement des normes, qui est une forme non ambiguë, elle, de quatrième fonction.

     

     

     

     

     

     

     



    [1]   Le processus est inversé. Mais il n’y a pas de sketch du type « le roi et le voleur », propice à une structuration fonctionnelle.

     

     


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